Longtemps délaissées, les spinelles, turquoises ou aigues-marines sont de plus en plus prisées par les grands joailliers. Plus faciles à trouver que leurs précieuses cousines, ces pierres fines atteignent désormais des sommes tout aussi extraordinaires.
Pour ces créations prestigieuses équivalentes à celles de la haute couture, les grandes maisons veulent toutes obtenir les plus beaux spécimens. « On assiste à une frénésie stylistique, observe Pierre Rainero, directeur de l’image et du style de Cartier. Or, la matière première nécessaire à nos créations se raréfie, ce qui explique l’augmentation générale des prix. » Et la pression croissante qui pèse sur les marques, toujours à l’affût de la perle rare.
La plupart du temps, les chasseurs de pierres travaillent à partir d’un cahier des charges précis, livré par le studio de création de la maison : une gouache du bijou comportant des suggestions de teintes. A eux de revenir quelques mois plus tard avec des propositions. Mais il arrive aussi que l’achat d’une gemme exceptionnelle fasse l’objet d’une création spécifique. La pierre peut alors être présentée avec une idée de dessin à un « client connaisseur ». Si les Français restent très classiques dans leur choix (rubis-saphir-émeraude), les étrangers se montrent de plus en plus ouverts à la nouveauté.
Pour les étonner, les experts gemmologues et acheteurs comptent sur leur réseau de marchands du monde entier spécialisés par type de pierres (diamants, pierres fines, pierres exceptionnelles). De Paris à Bangkok en passant par Las Vegas ou Jaipur, les gemmes, taillées avant d’être proposées à la vente, passent entre de multiples mains pour atterir, enfin, entre celles des artisans joailliers.
Si le marché du diamant reste assez équilibré et structuré autour de gros investisseurs russes, australiens et sud-africains notamment, celui des autres pierres a toujours été plus opaque et plus irrégulier, en fonction de l’offre et de la demande. Les mines de Colombie d’où sont sorties les plus belles émeraudes sont à bout de souffle. Les tourmalines Paraïba du Brésil, au gisement épuisé, sont devenues quasi introuvables. Idem pour les rubis de Birmanie, réputés les plus beaux mais boycottés pour raisons politiques et éthiques.
Les stocks des marchands acquièrent ainsi une valeur considérable. « On a pris conscience récemment de la rareté de ces pierres qui ont été un temps délaissées, d’où la montée des prix et les achats spéculatifs », observe Pierre Rainero. Et l’engouement pour d’autres gemmes. « Les beaux rubis, saphirs, émeraudes étant devenus difficiles à obtenir, les maisons s’intéressent davantage aux pierres fines, préférant une aigue-marine Santa Maria très bleue à un vilain saphir », pointe Olivier Segura, directeur du Laboratoire français de gemmologie qui certifie les pierres et pratique des contrôles de qualité (absence de traitement, inclusions...).
Conséquence : les prix des pierres fines flambent. Le joaillier Lorenz Bäumer remarque que certains spinelles de grandes tailles ou de couleurs hors normes qu’il utilise depuis longtemps dans ses créations « peuvent aujourd’hui atteindre les prix des rubis, ce qui n’était pas le cas il y a dix ans ». Idem pour le corail, le turquoise ou les perles fines.
Il arrive d’ailleurs que les maisons renoncent à aquérir une pierre si son prix est trop élevé. « Quand nous tombons sur une pierre spécimen, nous essayons de l’acquérir, mais nous n’y arrivons pas toujours car nous tenons à acheter à un prix juste », insiste Georges Amer, directeur des achats, du dévellopement et de la fabrication chez Chanel Joaillerie.
Même discours chez Van Cleef & Arpels, qui refuse d’acheter à n’importe quel prix et à n’importe qui. La maison redouble de vigilance sur les conditions d’extraction. « La production n’est pas transparente à 300 %, reconnaît Nicolas Bos, son président. Mais, depuis une quinzaine d’années, nous arrivons à augementer la traçabilité de nos pierres. Sur le diamant, il y a eu un important nettoyage de la chaîne, on peut aujourd’hui tracer la pierre depuis la mine à sa taille. » Alors que neuf diamants sur dix seraient d’origine identifiable, une pierre fine sur deux vendues dans le monde aurait transité par des circuits illégaux.
Les prix, eux, restent secrets. Tous les intermédiaires sont unis dans un pacte de confidentialité. « Chaque pierre étant différente, donner une fourchette de prix n’a aucune pertinence », souffle un diamantaire. Andrew Coxon, président de l’Institut De Beers des diamants, pointe que « le secret des joailliers est de ne jamais communiquer sur le marché des pierres. Pourquoi ? Parce qu’il existe des écarts de prix de 30 % entre deux diamants aux mêmes 4 C (les quatre critères de qualité du diamant) ». La marque britannique a donc mis au point une technologie, baptisée Iris, qui permet de juger « objectivement » de la qualité du caillou en observant sa diffraction et sa symétrie. Pour le moment, seules les boutiques De Beers proposent cet outil à leurs clients. Il faut croire que, dans le monde de la joaillerie, le mystère fait encore pour beaucoup partie du charme.